Corps écran

 

Articulant des œuvres et un ensemble photographique constitutif de la démarche expérimentale de l’artiste, l’édition permet de découvrir des travaux récents mettant en scène un rapport au paysage, à l’optique et aux procédés plastiques de son travail, qui associent architectures et installations in situ. La recherche artistique d’Edouard Sautai y est analysée par le prisme de deux contributions : Là où l’image a lieu. Edouard Sautai et la phénoménologie du regard de Florian Gaité, et une conversation de l’artiste avec Marion Guilmot.

L’ouvrage dont la conception graphique est réalisée par Jérémy Glâtre, est édité par La Maréchalerie, avec le soutien de la Galerie Fernand Léger / Mairie d'Ivry-sur-Seine et du Domaine départemental de Kerguéhénnec (Morbihan).

 

 

Valérie Knochel Abecassis

Directrice de La Maréchalerie – centre d’art contemporain

 

Edouard Sautai - Corps écran
Texte de Florian Gaité et entretien avec Marion Guilmot
128 pages - 23 x 30 cm
Design Graphique Jérémy Glâtre
Edité par La Maréchalerie -centre d'art contemporain / ENSA - Versailles. Parution décembre 2019
Distribution Les Presses du Réel
ISBN : 978-2-918512-16-5 - Prix 28 €
Ouvrage édité avec le soutien de la Galerie Fernand Léger / Mairie d'Ivry Sur Seine et du Domaine Départemental de Kerguéhennec (Morbihan).

Pièce détachée Gagarine

Une nouvelle pièce détachée pour l'accompagnement artistique de la démolition de la cité Gagarine à Ivry-sur-Seine

 

Contexte

Pièce détachée Gagarine se greffe sur le réaménagement du quartier Gagarine-Truillot et la déconstruction de la cité Gagarine à d'Ivry-sur-Seine. Les habitants des 380 logements aujourd'hui relogés, cet immeuble en forme de "T", une des plus vastes constructions de la ville est en cours de démolition.

 

Projet

Pièce détachée Gagarine est d'abord une micro architecture roulante qui fait fonction de signal indiquant une présence artistique et qui accompagne la déconstruction. Mais elle est surtout le support autour duquel s'articulent des projets de création variés autour de la thématique de la mutation urbaine.

La transformation d'un quartier convoque de nombreuse problématiques : architecture, recyclage, écologie, temporalité, habitabilité, habitants… Autant de sujet qui peuvent donner lieu à des créations artistiques restituées sous la forme d'occupations spatiales multiples: projections publiques de vidéos ou de diaporamas, expositions, rencontre/échanges/discussion, installations temporaires, performances.

Pièce détachée Gagarine est un dispositif d'exposition multifonctionnel, une œuvre couteau suisse destinée à en présenter/recevoir d'autres.

 

Renversante immersion

 

Renversante immersion propose un regard différent sur ce qui nous entoure. Elle offre au promeneur la possibilité de jouer avec le reflet pour une vision transformée de son environnement l'œil nu ou avec son appareil photo.

Mais elle propose aussi de s'immerger dans le paysage au sens propre comme au figuré offrant plus une manière différente de voir que quelque chose à voir.

Le cours d'eau partiellement dévié alimente un miroir d'eau surélevé. Se faufilant par un étroit passage, le visiteur accède à l'ouverture centrale par laquelle il passe la tête. Les yeux au raz de l'eau, sa vision est alors proche de celle d'un nageur où d'une grenouille. L'œuvre Renversante immersion s'éprouve plus qu'elle ne se regarde. Elle invite le spectateur/promeneur à une expérience immersive et sensorielle unique où le sol se dérobe et laisse place au ciel et à un environnement dédoublé. Le regard de "l'immergé" est pris au jeu enivrant de l'illusion contemplative.

Au centre du miroir, l'eau tranquille procure une sensation de calme, de tranquillité et d'apaisement. Cependant les conditions climatiques varient et modifient radicalement notre expérience sensorielle. En cas d'orage, le miroir d’eau brisé pourrait devenir source d'angoisse nous plongeant dans la posture plus tourmentée d'un naufragé.

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Jetée

Jetée. 2020

Bois de Châtaignier, acier galvanisé, filet polypropylène

19 x 6 x 3 m

La jetée s'étend devant lui comme l'amorce d'une route inachevée, qui aurait entrepris de traverser la mer (Pierre Louÿs 1929)

 

La jetée est une œuvre praticable qui prend place dans le vallon de Kerbrevet, un endroit reculé du parc, résultat du lent travail du ruisseau portant le même nom et qui au cours du temps à façonné ce paysage encaissé, boisé, humide et préservé, qui tranche avec la plaine agricole alentour. Le ruisseau sinueux s'écoule au creux d'une tranchée dans la terre noire et meuble du marécage qui couvre le fond plat du vallon. Depuis le chemin que borde le ruisseau on aperçoit de l'autre coté une clairière où les rayons du soleil illuminent un pare-terre de ronces et de fougères qui se disputent le terrain et rendent l'endroit inaccessible.

La jetée nous invite au survol de cet écrin de nature sauvage. Depuis le chemin elle enjambe le ruisseau puis s'avance en surplomb dans ce terrain hostile et comme vierge de toute trace de passage.

L'étroite estacade de bois sur pilotis nous conduit au cœur de la clairière. À partir de ce point la suite du voyage s'entreprend de l'intérieur, à travers le champs des perceptions, posté sur cette station d'écoute de la nature qui compose avec le bruissement du vent dans les feuilles du cliquetis de l'eau glissant sur son lit caillouteux, des chants d'oiseaux, du craquement  sec des arbres. Dans un lâcher-prise de soi aux éléments, nous retrouvons nos sensations d'enfance.

La jetée, passerelle entre deux milieux, projette notre corps dans un ailleurs temporel et physique activant un instant particulier de notre relation à la nature et au monde. On s'y engage sans savoir ce que l'on va trouver si ce n'est qu'elle nous conduit vers un autre nous-même trop souvent oublié.

 

 

 

 

Still life

"Still life" 2019
Manipulation de l’écran: Katell Hartereau et Léonard Rainis - le Pôle
Images: Edouard Sautai et Rafaël Trapet
Montage images: Jean-Michel Albert
Prise de son et création sonore: Armand Lesecq
Production: Domaine départemental de Kerguehennec (Morbihan) et La Maréchalerie centre d’art contemporain

 

La vidéo Still Life, tournée dans le domaine de Kerguéhennec offre une suite de points de vue sur le parc et l’étang, séparés par un fondu au noir et animés du souffle de l’air et du pépiement des oiseaux. Deux porteurs, Katell Hartereau et Léonard Rainis, décrochent un écran blanc translucide du mur de la salle d’exposition. Suit une lente déambulation de l’écran dans le parc, aux couleurs des moments du jour et des saisons, sur la création sonore et la captation du bruissement de la nature et des pas dans l’herbe et les feuilles mortes d’Armand Lesecq. L’écran intercepte les ombres et les faisceaux lumineux qui traversent les végétaux, les images qu’ils réverbèrent. À la fin de la randonnée, l’écran, appuyé contre un arbre, mêle en surface le reflet des arbres et des feuilles et en transparence l’ombre des herbes dans un dégradé de nettetés et de flous, un feuilleté de profondeur de champ animé par le vent ; vol d’insectes, devant ou derrière l’écran ? La performance revisite et questionne tout autant l’histoire des dispositifs optiques de captation et de projection des flux lumineux, celle des « dessins photogéniques », que les temps de l’image fixe et animée. Elle déstabilise les repères habituels du paysage et esquisse, le temps d’une impression visuelle, les lumières réfléchies, presque imperceptibles, qui participent à la construction de l’image paysagère. La pensée poétique et philosophique des machines de vision, leur expérience par le visiteur s’augmentent ici d’une autre émotion poétique, qui, en aller et retour avec la chambre colorée de la première salle, interroge le temps et l’histoire de la nature morte / vie silencieuse.

Jean-Marie BALDNER pour Lacritique.org - février 2019

CMJN/H2O

CMJN/H2O

Un miroir d'eau

Bois, bâche pvc, eau, encre de chine noire

10,5 x 8 x 1,2m

et six vantaux de fenêtre colorés

5,5 x 1,4 m chacun

Acier, plexiglass coloré cyan, magenta et jaune

 

Les quatre premières lettre du titre C,M,J et N signifient Cyan, Magenta, Jaune et Noir qui sont les quatre couleurs couramment utilisées en impression. Les trois premières couleurs se retrouvent sur les vantaux dont les parties transparentes sont en plexiglas coloré alors que le noir est dilué dans l’eau teintée à l’encre de chine. Cette œuvre fait suite à RVB/H2O, une exposition présentée au Volume à Vern-sur-Seiche en 2017. Ces deux œuvres résultent de mon intérêt pour la composition de la lumière et notre perception des couleurs. Je m’interroge sur le fait que le langage nous déroute de la compréhension du système lumière/perception. Par convention vous pourriez dire « j’ai une voiture verte », mais en fait vous devez imaginer que votre voiture est recouverte d’une matière qui emprisonne toutes les fréquences colorées du spectre excepté le vert qu’elle vous réfléchit. Dites-vous que de toute façon les objets sont invisibles et la lumière aussi. La seule chose que perçoit notre œil est l’interaction des deux. Chaque filtre coloré contribue à modifier notre perception de l’espace, l’incidence de la lumière sur la matière.
Mon intérêt pour la lumière provient de mon expérience de photographe et le dispositif présent est assimilable à la morphologie d’une chambre photographique. Comme cette dernière, le volume de l’espace d’exposition peut être perçu comme une chambre percée d’un orifice par lequel entre la lumière et dont les murs révèlent celle-ci. Le miroir d’eau lui, pourrait rappeler les miroirs escamotables des appareils photo reflex. Les couleurs de la baie se reflètent dans celui-ci. Ce miroir d’eau noire a aussi pour particularité d’abaisser la luminosité de ce que nous voyons. Le reflet est plus sombre que la réalité regardée directement. Il fait référence à un outil en vogue à la fin du 19e siècle : Le miroir noir, dit miroir de Claude Lorrain qui permet de contempler les ciels ou les soleils couchant sans s’éblouir et de regarder le paysage en basse lumière. Enfin, j’ai ajouté un troisième et dernier élément à cette architecture, lié à l’optique : Un miroir parabolique est orienté de telle manière qu’il crée une projection des lumières colorées de la baie sur un recoin du bassin. De la dilution des couleurs dans l’eau, celui-ci appelle à une concentration du regard vers une image fabriquée. C’est une manière également de recentrer l’œuvre en un point, de fabriquer une perspective, un point de fuite en contrepoint du vaste espace/œuvre.

 

 

 

 

 

Exposition personelle à la Maréchalerie Centre d'art. École nationale supérieur d'architecture de Versaille

Intersections

Intersections. 2009-2017

90cm x 90cm x 90°

79cm x 79cm x 85°

79cm x 79cm x 85°

71cm x 71cm x 80°

63cm x 63cm x 90°

Acier oxydé et verni

L'idée des intersections m'est apparue en 1985 alors que au lycée je pratiquais le dessin industriel. Cette forme particulière est très difficilement lisible sur un plan avec les trois vues; dessus, face et droite qui successivement donne un carré avec ses diagonale, un rond puis un autre rond pour la dernière vue. Une "intersection" est la partie commune à deux cylindres de même diamètre se croisant dans un même plan. Se croisement peut s'effectuer avec des angles variables. Les "Intersections " pourraient être déclinées à l'infini, j'ai choisi d'en réaliser cinq.

re:construction

Garage de la jetée. Le Havre
Garage de la porte océane. Le Havre
Maquettes des deux garages
Garage de le jetée. Modélisation préparatoire
Garage de la porte océane. Modélisation préparatoire
Plan de dépot de permis pour la reconstruction du garage de la porte océane. Archives municipales de la ville du Havre

Garage de la Jetée, garage de la Porte Océane

2015

Plaques de plâtre, bois, lumière bleue

L'exposition prend place dans le local qui abritait auparavant le cabinet d'architecture Bettinger-Desplanque au Havre. Ce lieu est situé dans les architectures de la reconstruction d'après guerre réalisées par l'atelier Perret. L'œuvre qui est proposée ici entre en résonance avec ce contexte particulier pour des raisons historiques et spatiales. Elle est unique et dédiée au cadre, construite sur place, indéplaçable donc temporaire. Bien que de grande dimension, elle reste telle une image fugace, une représentation futile et légère. La maquette qui nous domine est à la fois inachevée et en cours de démolition faisant se rejoindre passé et futur. L'échelle est absurde, inutile sauf pour elle-même. L'architecture dénuée de sa fonction au profit de la forme devient une sculpture. Edouard Sautai.

Exposition du 6 mars au 4 avril à La Forme, au Havre

Voir les images du montage de l'exposition

Entretien avec Christian Tangre co-commissaire

CT: Comment as-tu envisagé l’invitation de La Forme à créer une installation spécifique pour le lieu ?

ES : Le fait que le lieu de La Forme soit initialement un cabinet d’architecte m’a donné envie d’y entreprendre quelque chose qui soit en lien avec cette fonction initiale. Et puis également que cette exposition soit dans la programmation du Mois de l’Architecture a aussi forcement eu un impact décisif sur ce choix. Je pense aussi que c’est la manière dont la chronologie des expositions est organisée, avec de grands intervalles entre les expositions, une grande souplesse, une ouverture aussi des membres de la forme... ça m’a donné envie d’y passer du temps, déjà. J’avais ce souhait d’entreprendre quelque chose de grande envergure, qui prenne du temps et d’occuper le lieu en faisant naître quelque chose sur place, de l’habiter. J’avais déjà fait cela à Paris, j’avais logé dans une galerie pendant le montage d’une exposition en 1994. Je trouve intéressant de rapprocher ces deux notion qui relève de l’occupation de l’espace : par l’exposition et l’habitation, du coup je me suis tout de suite bloqué un mois complet sur mon emploi du temps pour faire ce projet afin d’entreprendre une construction sur place qui va prendre une dimension telle qu’elle va envahir et perturber l’espace et ses dimensions. C’est le postulat que j’ai posée assez vite car pour moi c’est assez rare de croiser ce genre d’opportunité, d’avoir un espace libre, deux mois quasiment en amont, c’est unique. Par ailleurs je voulais partager ce temps avec d’autre et j’ai décidé dans la foulée de prendre un groupe de stagiaires étudiants en art pour m’assister dans cette construction.

CT : Donc ça c’était la première étape, la deuxième c’était le choix de ce qu’allait être le sujet. Comment est-ce né ?

ES : Le fait de me replonger physiquement dans cet endroit qui est au cœur des constructions de Perret mais aussi de revenir sur la ville où j’ai vécu de l’âge de quatre ans à vingt huit ans à été décisif. Je me sens toujours une grande proximité avec cette ville qui est maintenant classée. Et puis il y avait cette histoire de garage dont j’avais le souvenir, entre guillemets d’enfance mais j’ai découvert qu’il n’a été démoli qu’en 93. Je venais d’avoir mon diplôme aux beaux-arts donc j’avais 27 ans mais je ne me souviens pas de cette démolition. J’avais juste cette vague image de ce garage et j’ai voulu travailler sur le souvenir, sur la disparition, dans la continuité de la mutation de la ville qui est présente aussi dans mes photos (voir les séries constructions). La ville en transformation c’est une de mes sources d’idées pour les projets. Et du coup ça a été un vrai bazar car je ne trouvais rien sur ce garage, aucune trace. J’ai regardé sur Internet mais je ne trouvais rien et en fait c’est en allant aux archives municipales... C’est une chance d’avoir le service des archives parce qu’ils ont un stock de documents hallucinants, c’est un luxe pour une ville d’avoir ça. Et donc aux archives j’ai retrouvé le permis. Avec l’aide des archivistes nous avons parcourus tous les registres de permis, de 1951 à 1959. Ce sont des registres écrits à la main qui répertorient tous les permis de construire dont ceux déposé pour les garages, mais cela inclus également tous les petits garages pour ranger sa voiture à côté du pavillon... Finalement on a retrouvé le numéro puis le dossier de permis du garage Citroën à la porte océane avec tout les plans. A ce moment je prend connaissance du nom de l’architecte, Jean Le Soudier, associé à  Charles Fabre, ils étaient deux, et là les gens des archives me sortent le livre qu’Yvan Le Soudier a fait sur le travail de son père et où je peux découvrir l’ensemble des constructions qu’il a réalisées. Curieusement je découvre alors un autre garage qui me plaît beaucoup,  le garage (Panhard) de la Jetée, que je décide très vite de reproduire aussi dans l’exposition et puis je découvre également  qu’il a construit les locaux dans lesquels mes parents ont travaillé toute leur vie, pratiquement, où moi j’ai aussi bossé en tant que photographe publicitaire. C’était drôle parce que c’est très lié et Yvan était aussi l’ami d’un oncle... on est en pleine reconstruction du passé. Donc je découvre ce garage de la Jetée qui n’a rien à voir, très à l’américaine, avec sa grande casquette en béton, une architecture très différente du style Perret contrairement au garage de la Porte Océane. Mais initialement je pensais que c’était Perret qui avait fait le garage de la Porte Océane et ma mère me l’avait aussi affirmé. C’est comme pour la ville, c’est le bureau de Perret qui l’a construite, Perret lui-même a très peu construit ici, il a coordonné les architectes entre eux. C’est bien de le dire aussi, les gens ne le savent pas forcément, tout le monde pense que le centre ville a été construit par Auguste Perret, point. Mais c’est surtout par son atelier.

En fait ce que j’apprécie, c’est qu’il est très flexible cet architecte, Jean Le Soudier. Il s’est adapté parce qu’il a construit à la manière de Perret le garage Citroën, en accord avec son mode constructif, et puis le garage de la Jetée dans un tout autre style, très années 50, américain. Du coup ça ouvre le champ des possibles et c’est vrai que dans les constructions qu’il a entreprises au Havre il ya des choses extrêmement diverses. Je me trouve une filiation avec ça parce que dans mon travail plastique c’est pareil, il y a des choses formelles très diverses même si je l’espère il y a une ligne conductrice qui va lier les choses. Je trouve cela important, ça veut dire une capacité d’adaptation, une souplesse de pensée et donc un regard sur le contexte qui pour moi est fondamental en architecture.

CT : Est-ce que tu peux expliquer le titre que tu as choisi ?

ES : Les titres c’est toujours un peu la croix et la bannière, c’et un peu la torture. Des fois ça vient vite, le titre nait avec plus ou moins de poésie, de force, de résonnance et là ça été un peu laborieux pour trouver. On va dire que cette fois c’est un peu un titre par défaut, qui ne m’enchante pas. Et en même temps re :construction ça parle de ce dont ça parle, c’est-à-dire que ce sont des garages qui ont été détruits au moment des bombardements, qui ont été reconstruits avec les dettes de guerre, c’est marqué dans les permis de construire. Ce sont des gens qui reconstruisent ce qui leur a été pris par le bombardement et ces bâtiments ont été démolis avant le classement au patrimoine mondial de l’UNESCO. Aurait-il été possible de les démolir aujourd’hui? Donc démolis, reconstruits, démolis et moi je construits une troisième fois finalement.

CT : Par rapport a ce que tu évoquais précédemment par rapport à la reconstruction ou reconstitution d’un passé qui t’est personnel, est-ce que c’est quelque chose auquel tu avais pensé dans le choix du titre ?

ES : Non, en fait je raconte l’histoire personnelle mais c’est vraiment anecdotique. Le fait que dans mon travail la question de l’échelle soit récurrente m’amène forcément à la question de l’enfance par rapport à la hauteur de point de vue, par rapport à l’appréhension qu’on a du monde puisque quand on est petit on voit les choses plus grandes quelles ne sont. On a tous le souvenir de cette expérience où adulte on retourne sur un lieu de l’enfance et on le trouve beaucoup plus petit qu’il ne l’était dans notre mémoire. Donc forcément des fois je suis amené à évoquer mon passé mais mon travail ne parle pas de ça, c’est secondaire.

CT : Et donc comment as-tu choisi l’échelle du projet par rapport à ces garages ?

ES : L’échelle, elle n’a pas été déterminée tout de suite. Elle a changé jusqu’à quelques semaines avant la construction puisque pour un tel projet j’ai pris le temps et je me suis offert le luxe de modéliser entièrement les choses par les outils numériques, en trois dimensions. Et donc j’ai tout d’abord modélisé les deux garages d’après les plans que j’avais photographiés aux archives et que j’ai intégrés dans un logiciel de 3D pour en extraire des versions tridimensionnelles numériques et ça m’a permis de les glisser ensuite dans l’espace de la galerie que j’avais lui aussi modélisé. Suite à cela j’avais déjà plus ou moins décidé ; à partir des deux espaces puisque c’est une galerie qui est divisée en deux espaces ; de mettre une architecture dans chaque, une maquette dans chaque. Ça m’a été confirmé au moment où je les ai glissées dans la galerie  avec les outils 3D. Et il y a l’échelle du garage Citroën que j’ai beaucoup modifiée au dernier moment à cause du problème d’épaisseur du matériau que j’emploie. L’usage de la plaque de plâtre était à la fois une manière de rester en dialogue avec l’architecture et c’état aussi un matériau très approprié, par sa dimension, sa mise en œuvre aisée et son faible coût. Il y a aussi quelque chose qui évoque l’origami dans la mise en œuvre et qui le rend assez ludique. Mais les plaques de plâtre font 13mm d’épaisseur et l’échelle que j’avais choisie pour le garage Citroën se prêtait mal, c’aurait été beaucoup trop grossier, en particulier pour faire les encadrements de fenêtres. Initialement pour représenter le garage en entier il fallait le réduire à 1/15eme, ce qui est déjà une forte réduction. Donc du coup j’ai décidé de l’agrandir à l’échelle 1/7 e et de n’en montrer qu’une partie. L’autre garage est au 1/3,5. Ces  deux échelles ont été ajustées avec la 3D, en étirant plus ou moins pour les adapter. J’ai dimensionné la maquette du garage de la Jetée pour qu’elle enveloppe le petit ilot en dur situé au milieu de l’espace et qui sert habituellement de rangement, je voulais cacher cet objet incongru. Le garage a été placé et dimensionné très précisément pour ça.

CT : tu m’as dit que tu envisageais un travail sur la lumière dans cette installation ? Pourquoi et que serait-il ?

ES : Oui, le fait que ces grandes maquettes s’installent là, ça appelle la question de la mise en scène et donc du spectacle vivant, du cinéma. On est à Hollywood un peu, ce sont des architectures factices. Et du coup j’ai envie d’avoir une ambiance qui soit traitée de manière assez directive, une ambiance lumineuse qui va soustraire un peu d’information sur le matériau, qui va laissée plus de place à l’imaginaire. Parce que si c’est bien éclairé j’ai peur qu’on soit trop sur les petits détails et qu’on rentre trop dans l’aspect construit, fabriqué de ces objets, et pour faire une mise à distance je voulais éteindre pour effacer un peu d’infos, qu’on voit, qu’on perçoive encore des choses mais que ce soit l’imaginaire qui produise du sens, qui produise la forme et que le matériau soit un peu plus dissimulé. On verra au moment où les maquettes seront finies mais à priori je suis parti sur l’idée d’une pénombre bleutée, d’une lumière de nuit pour sans doute retrouver une idée de rue, c’est-à-dire avoir un alignement de lampes bleues qui peut traverser les deux espaces.

CT : Dans le court texte que tu as écrit pour la brochure du Mois de l’Architecture, tu dis qu’à la fin ce sont des sculptures. Comment envisages-tu cela ?

ES : Il y en a une qui est sur un socle, c’est pour cela (rires). Je n’ai pas tellement réfléchi à cette question mais ce n’est pas une architecture, ce n’est pas un décor, ce sont des maquettes et une maquette peut être une sculpture. Qu’est-ce que c’est qu’une maquette, c’est une représentation à une échelle donnée d’un objet réel, donc il y a plein de sculptures qui sont des maquettes. Pour moi, on est quand même à la jonction de plusieurs territoires, avec ta question suivante par rapport à l’architecture. Qu’est-ce qui est sculpture, architecture ? Je pense à André Bloc qui se trouvait aussi à la charnière de ces univers. Je trouve que le mot installation ne me convient pas non plus parce que l’installation c’est plutôt des déplacements d’objets, de l’organisation de choses récupérées. C’est du déplacement, l’installation, c’est la mise en espace de choses qu’on n’a pas forcément fabriquées soi. Je me sens plus sculpteur parce que je suis quelqu’un qui fabrique, qui fais les choses que je dessine. J’utilise rarement des objets tout faits. J’utilise un matériau brut et je le façonne...donc, la sculpture elle est peut-être là.

CT : Donc quel est ton rapport d’artiste plasticien à l’architecture ?

ES : L’architecture, c’est peut-être ma manière de faire de la sculpture. C’est peut-être un moyen pour moi de réaliser mon désir ou d’assouvir mon appétit de construire. En fait, j’ai un appétit de construire, voilà. Dans ma vie, je rénove des maisons, j’ai envie de me construire une maison, j’aime vraiment ça. Je construis aussi des décors de théâtre. Il y a aujourd’hui énormément de choses qui sont mises de côté par l’enseignement qui est de moins en moins manuel, autant dans les écoles d’art que dans les lycées ou collèges, il n’y a plus de pratique manuelle alors qu’elle enrichit tellement, qu’elle apporte tellement au niveau de la compréhension du monde. Il y a une intelligence du manuel qui est totalement mise de côté et c’est dommage car cela participe de la dévalorisation du travail manuel et au regard que l’on a sur l’ouvrier et c’est vraiment spécifique, peut-être pas à l’Europe mais à la France c’est sûr. Après, pour revenir à l’architecture, la limite comme j’ai dit elle est par l’usage. Il y a des approches un peu différentes. Perret par exemple approche la forme par l’intérieur, par l’habitabilité et finalement ce qu’on retient de la ville du Havre c’est la forme des bâtiments alors que ce n’est pas spécialement ce sûr quoi il a travaillé, il travaille d’abord sur l’habitabilité. Du coup la forme extérieure découle d’une étude faite par l’intérieur. Et dans mon travail ici on peut dire que cela devient des sculptures parce qu’on ne peut pas rentrer dedans, ce sont des formes qui se regardent de l’extérieur. Je trouve que ces formes sont très belles et on sent qu’il y a une intelligence de l’habitabilité qui transpire à travers les parois et qui se sent à l’extérieur. Ce n’est pas un travail sur la forme comme le ferait Le Corbusier puisque c’est le conflit qui les opposait, un qui travaillait plus sur la forme extérieure et l’autre par l’habitabilité. C’est tellement intelligent l’Appartement témoin, si on prenait le temps de prendre des leçons, on fait tellement d’inepties, alors qu’on visite un appartement de Perret et on peut voir que c’est d’un confort extrême, très pratique.

CT : Le fait que tu es choisi deux garages est-ce que cela à un rapport pour toi avec l’idée d’espace fonctionnel, d’atelier, de lieu de fabrication ?

ES : Au départ j’étais parti sur plusieurs idées, est-ce que je vais faire l’Hôtel de Ville, une galerie avec ses colonnade, l’église Saint-Joseph ? Je me suis baladé dans Le Havre et j’ai photographié des endroits qui m’intéressaient. Même dans la cour où est située La Forme il y a un espace qui est chouette, sur la droite en haut avec des imbrications de volumes que je n’avais jamais vues. En entrant dans les cours des Perret on comprend aussi comment à l’intérieur des îlots il y a une intelligence. C’est magnifique les intérieurs des îlots, malheureusement on ne peut pas beaucoup les traverser, c’est souvent fermé par des grilles.

Pour revenir à la question j’ai une fascination pour l’architecture industrielle, ça n’a rien d’extraordinaire, il y a beaucoup de gens qui se passionnent  pour l’architecture industrielle, et de plus c’est très tendance, avec le loft par exemple, de détourner un lieu. C’est dans la non-conformité du mode de vie, le détournement de l’espace c’est très intéressant pour vivre. Ce sont plus des boîtes avec des fonctions, un peu différentes de l’habitation et puis je crois qu’aller vers la répétition, comme dans une tour de Perret avec cinq cent fenêtres identiques était moins intéressant. Là on a quand même des formes assez spécifiques pour ces deux bâtiments, ils sont un peu uniques dans la ville. Le shed (toiture en dents de scie)  c’est quelque chose que Perret a aussi utilisé, on ne connaît pas forcément ses bâtiments industriels, à Bagnolet ou j’habite par exemple il y a un bâtiment avec des sheds fait par Perret. Ce sont des constructions de grandes envergures. Son père faisait des mosquées en Afrique du nord, c’est un spécialiste du voile de béton armé. En écoutant un film sur Bouchain,  j’ai appris, alors que je croyais que Perret père avait plus ou moins inventé le béton armé, que c’était le jardinier de Louis XIV qui avait des problèmes avec ses jardinières qui cassaient avec le gel qui a eu l’idée de noyer  du grillage dans son ciment.

CT : En regardant ton travail photographique, par exemple  dans les séries que tu appelles Construction on peut déceler une critique de l’architecture ou en tout cas de l’urbanisme. Comment tu envisages cette approche par rapport à l’exposition pour La Forme ? Est-ce qu’il y a une vision critique ou est-ce purement nostalgique ?

ES : Je ne pense ni à la critique ni à la nostalgie, ce qui m’intéresse plus c’est de confronter notre corps à des formes et à questionner l’échelle. C’est-à-dire à donner à voir ces choses avec un tout autre point de vue. Peut-être que la nostalgie est un peu motrice. Je crois que c’est une sorte de gourmandise, je suis un artiste gourmand, je fais les choses par envie. On doit toujours expliquer pourquoi on fait ci ou ça mais au départ il y a beaucoup d’intuition, beaucoup de désir. C’est vrai que j’ai dit sur ces photos qu’il y a une critique de l’urbanisme parce qu’aussi les architectes et les urbanistes nous contraignent, ils nous disent où il faut marcher, comment il faut habiter, bien sûr parfois il le font bien... Ce sont eux qui nous imposent nos modes de déplacement, finalement on vit parmi des objets qui sont dessinés par eux et on vit selon les directives qu’ils nous imposent. Les petites architectures que j’ai réalisées dans la ville de Séoul ou à Creil sont une manière un peu ludique de jouer nous aussi avec l’urbanisme, et par l’illusion d’impliquer l’individu dans le dessin de la ville. C’est pour moi aussi une manière d’assouvir non sans humour ce désir d’architecture car c’est sans doute un des métiers que j’aurais aimé le plus faire, architecte.

CT : Tu travailles beaucoup  avec la photo...est-ce qu’il y aura ici un travail d’image ?

ES : Oui, en fait, le statut de la photographie a été longtemps pour moi ambigu. C'est-à-dire qu’avant je faisais des photos pour faire des photos, donc des petites constructions par exemple, puis à côté de ça des photos comme des photos de Buren, des photos souvenirs, c'est-à-dire des photos pour faire trace, pour l’édition d’un catalogue, ou pour le site internet, ou pour faire des dossiers, des photographies des œuvres temporaires, quoi. Et c’était deux choses bien distinctes et j’ai mis du temps à réaliser qu’en fait il y avait un lien de part le côté temporaire des constructions qui prennent place dans les deux famille d’images et que finalement, la photo d’une installation comme celle que je réalise actuellement à La Forme pourrait être aussi une œuvre en soi. D’ailleurs, souvent, je pense la mise en espace de manière à ce qu’il y ait un point de vue privilégié pour la photographie. Par déformation avec ma pratique de photographe de studio, qui consiste à poser ton appareil à un endroit et puis à construire dans le champ de vision de l’appareil. Et dans les galeries, dans les centres d’art, dans les lieux où j’expose, souvent c’est comme ça,  il y a un point qui est le point de vue sur l’œuvre... Donc là il y aura un travail de photo mais La Forme se prête assez mal  parce que Forme a deux lieux distincts. Donc il n’y a pas de point de vue qui permette d’appréhender les deux espace où se trouvent les maquettes, les deux architectures en même temps. Il y aura des photos qui pourraient être tirées, mais je n’en suis pas encore sûr. Je prendrai la décision lorsque le travail de construction sera achevé, j’ai du mal à anticiper pour le moment.

CT : D’accord. Et donc dernière question. Il y a aujourd’hui beaucoup d’artistes qui travaillent sur ou autour de l’architecture comment sujet. As-tu un avis sur cette concordance ?

ES : Je te renvoie à ce que je t’ai dit précédemment, en fait moi c’est le désir de construire qui me motive et une certaine fascination pour les formes, pour les limites entre l’architecture et la sculpture. Si tu exclues la fonction, c’est la pénétrabilité des volumes aussi qui m’intéresse. C’est Henry Moore je crois qui a instauré l’idée qu’on pouvait rentrer dans une sculpture, la traverser, la voir autant de l’intérieur que de l’extérieur. Voilà donc du coup c’est assez flou, Il y a vraiment des architectures qui sont  faites pour être vues de l’extérieur, de loin, qui sont là pour leur forme même si elles ont  une fonction. Il suffit de regarder la Grande Arche de la Défense, on est dans des architectures sculptures, c’est d’abord une forme géométrique qui est dessinée. Voilà. C’est une question qui m’intéresse. C’est l’aspect constructif qui me fascine.

CT : Est-ce qu’il n’y a pas un retour à un certain modernisme ?

ES : Oui en ce moment il y a une tendance, ça m’intéresse bien sûr mais je suis un peu feignant de la culture architecturale. Je n’ai pas l’habitude de théoriser, j’ai fait des études techniques, j’ai mis du temps à lire, du coup l’élaboration de mon discours théorique se fait plus par l’expérience, par la pratique, la mise en œuvre des matériaux et les différentes propositions d’exposition qui font que là je vais aborder Auguste Perret plus que d’habitude et qu’alors je vais lire pour comprendre ce que je suis en train de faire. Je n’ai pas une connaissance en architecture très large. Il y a des architectes que j’aime bien, que j’ai croisés. Mais je crois qu’aujourd’hui on est dans une sorte de double branche parce qu’on est à la fois comme chez Lacaton et Vassal dans quelque chose où il faudrait arrêter de faire table rase pour transformer les choses pour quelles rentrent dans un processus un peu écologique et de mutation progressive, ce qui m’intéresse beaucoup. Et de l’autre côté je suis fasciné par la radicalité de projets comme ce qu’a pu faire Oscar Niemeyer pour Brasilia ou même ici au Havre, c’est totalement hallucinant faire un truc pareil au milieu des constructions de Perret. Je ne sais pas si cela passerait aujourd’hui, en même temps je trouve cela génial. Voilà j’aime bien ces deux voies.